La filière EPR: le contract management comme facteur clé de succès
14 janvier 2025

La filière EPR: le contract management comme facteur clé de succès


La Cour des Comptes publie un nouveau rapport sur la filière EPR, 5 ans après son précédent rapport. L’occasion de faire le point sur les recommandations mises en oeuvre et les gageures restantes.

Ce qui frappe à la première lecture, c’est la part importante que prend le contract management dans ce rapport. Il y est question de partage de risques, de propriété intellectuelle, de partage de responsabilités, de mécanismes de prix, de stratégie contractuelle et de bien d’autres choses encore.

Sur la contractualisation interne MOA-MOE

EDF a décidé de séparer ses activités de Maître d’Ouvrage et de Maître d’Oeuvre. Même si j’avoue ne pas connaître ni comprendre les sous-jacents, décision a été prise, en écho au modèle présent dans l’armement. Force est de constater que, selon la Cour des Comptes, la mise en oeuvre est à finaliser. Ainsi, une contractualisation entre MOA et MOE reste encore à écrire afin d’en « clarifier les rôles et responsabilités respectifs » (p.62). Notamment, le rapport pointe comme essentiel que « la maîtrise d’ouvrage dispose au plus vite d’une expertise » (p.62)… Certes… une fonction sans réelle expertise, qu’elle soit métier, technique, de pilotage ou autre, apporte-t-elle une valeur ajoutée ?

J’ai ainsi peur que cette clarification, si elle n’est pas déjà limpide, soit compliquée à définir puis mettre en oeuvre. Rappelons que les rôles de MOA et MOE sont des spécificités françaises, sans équivalents dans les autres pays. En langue anglaise notamment, nous pourrions rapprocher cela du Project Owner et du Owner’s Engineer (*), mais cela semble revêtir d’autres réalités ici.

Sur la stratégie contractuelle

La stratégie contractuelle d’EDF avec les entreprises de la supply chain est suffisamment importante pour que le rapport y consacre un chapitre entier (p.64 à 80). Si nous pouvons déplorer que ces éléments arrivent en toute fin de rapport, leur présence est rassurante. Notamment, l’analyse du projet Flamanville 3 est sans appel: la stratégie contractuelle était « inadaptée » (p.65) en cela que « les contrats n’intégraient, à leur signature, ni les aléas (pourtant prévisibles compte tenu du caractère de « tête de série » du réacteur) ni des mécanismes incitatifs » (p.65).

Ainsi, le rapport précise que sur les 12 principaux contrats, 11 ont connu des « augmentations de coûts comprises entre 100% et 700% » (p.65). Pour insister, 700% d’augmentation, c’est 8 fois le coût initial. C’est comme si j’achetais une voiture à 20 000 euros, et qu’à la fin je la paie 160 000 euros, mais c’est toujours la même voiture !?

Bref, il y a des entreprises qui ont visiblement bien piloté leurs contrats. C’est en partie ce constat qui a conduit EDF à développer le contact management et à recruter des contract managers, dont certains étaient initialement issus de ces mêmes entreprises.

Forte de ce constat, la Cour des Comptes recommande de mettre en oeuvre des dispositifs de partage des risques de construction, ce qu’EDF a partiellement fait.

Ainsi, l’évolution du dispositif contractuel a amené EDF à lancer DIAPO, le Dispositif Incitatif de Performance Opérationnelle. Certains marchés liés aux EPR2 intègrent donc, en fonction des enjeux (p.77):

  • Un plan de gestion des risques
  • Une « convention collaborative de gestion des interfaces », lorsqu’une approche collaborative est mise en place entre EDF et plusieurs titulaires de marchés différents
  • Un « plateau collaboratif » – ce que l’on appelait avant un plateau-projet
  • Un mécanisme de prix cible avec partage des gains et des pertes
  • Un « partenariat de productivité »

Qualifiés dans le rapport d’ « innovations contractuelles » , ces différents éléments sont bien nouveaux dans ce secteur, mais bien maîtrisés par un certain nombre d’entreprises qui, à n’en pas douter, vont à nouveau tenter de faire croître leurs chiffres sur le projet (peut-être pas dans un rapport de 1 à 8 comme cela a pu être le cas pour Flamanville 3).

Sur le tissu industriel

Ce qui est certain, c’est que le tissu industriel nucléaire, composé fortement de petites entreprises dont ce secteur représente une part faible de leur chiffre d’affaires, va devoir faire face à ces « innovations », se les approprier, et en réalité, pour beaucoup, les découvrir… il va y avoir du travail pour les contract managers du nucléaire. Je me positionne moi-même pour accompagner au mieux les entreprises dans ce qui sera probablement le plus grand programme français des décennies à venir.

Le rapport cite ensuite des clauses sources de « tensions » (p.78): plafonds de responsabilité, montant de garantie bancaire, montant de pénalités, clause de sauvegarde, clause de propriété intellectuelle, n’hésitant pas à qualifié le clausier de « trop peu partenarial ».

Un contract management source d’opportunités

En conclusion, nous voyons bien que la Cour des Comptes, à travers ce nouveau rapport, présente le contract management – sans le nommer – comme un facteur clé de succès du Programme Nouveau Nucléaire France (PNNF). Sachons en profiter pour démontrer notre apport aux grands projets.

En espérant que toutes les personnes et organisations affairées à éditer des rapports sur les EPR précédents (Flamanville, Olkiluto, Taishan) et à faire des recommandations, soient aussi zélées à faire réussir les projets futurs(*).

(*) Voici une étendue non-exhaustive des différentes analyses réalisées:

2019: Rapport Folz, commandé par EDF

2019: Retour d’expérience réalisé par le GIFEN

2020: Rapport du Cabinet Roland Berger, commandé par le gouvernement

2020: Rapport de la Cour des Comptes

2021: Rapport des cabinets Accuracy et NucAdvisor, commandé par le gouvernement

2022: Synthèse des rapports réalisée par le Gouvernement

2022: Deux rapports publiés par l’IRSN

2025: Rapport de la Cour des Comptes

(*) La notion de MOE est un peu différente de l’Owner’s Engineer, d’autant qu’en France nous avons plusieurs MOE: de conception et de travaux notamment. Le MOA peut également être accompagné d’un AMOA (assistant à maîtrise d’ouvrage). Ajoutez à cela l’architecte, et nous voyons que le schéma français est un peu plus compliqué que tout cela.

Je vous conseille la lecture de l’ouvrage de Hartmut Klein « Gestion de projet » si vous souhaitez en savoir plus avec le mode de fonctionnement allemand.

  • Jean-Charles Savornin
    Jean-Charles Savornin

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